Un enfant abandonné
Parcours d'un enfant abandonné
La légende familiale de Sarah
Bertrand Crisonnier, selon une tradition familiale, aurait été abandonné en 1826 devant la porte de l'hospice de Pau, puis élevé par des religieux. Inutile d'ajouter que l'on rajoute généralement : "Abandonné avec du beau linge et un nom" !
La réalité
Né le 11 mai 1826 à Bayonne, Bertrand est fils de Catherine Marmayoux et de Jean Aguttes. Il est baptisé le 12 à l'église St-André, puis confié à la demoiselle Barbe, sage-femme, qui l'expose le 19 dans la cour de l'hospice de Bayonne à trois heures du matin. Son linge se compose d'une chemise, d'une couche de coton, d'une couche de laine et d'un béguin. On trouve également sur l'enfant un morceau de papier où sont inscrits les trois mots : HAUR HAU BATHEATIADA, ce qui signifie en basque :"cet enfant a été baptisé".
Dans la nuit du 19 mai, Bertrand est découvert par Marie Maillhos, hospitalière, lors de sa visite d'inspection habituelle. Il est aussitôt inscrit au registre des enfants trouvés sous le matricule 564, déclaré à l'Etat Civil de Bayonne par Pierre Faurié, administrateur de l'hospice civil. Il ne passe qu'une journée à l'hospice, puis il est confié à Marie Canton, épouse de Jean Mailhon, nourrice habitant la commune d'Oraas (arrondissement d'Orthez).
L'enquête
S'il a été possible de retrouver de façon sûre les parents de Bertrand, c'est que l'abandon d'enfants à Bayonne, qui était monnaie courante comme partout à cette époque, suit une curieuse pratique. En effet, les archives hospitalières sont assez précises sur les mentions de baptème des enfants abandonnés. D'ailleurs, contrairement à une pratique plus fréquente, les enfants sont baptisés avant leur abandon.
Généralement, ce baptême avait lieu à l'Eglise St-André de Bayonne, située en face de l'hospice. La marraine était pratiquement toujours une servante de l'hospice - Jeanne Lafourcade à l'époque qui nous concerne. Un enfant par jour, en moyenne, est baptisé puis abandonné ainsi à Bayonne au début du XIXème siècle.
Enfin, lorsqu'on compare les registres de baptême de St-André et ceux de l'hospice, on retrouve exactement les mêmes prénoms, preuve que le maire, Mr Dhiriart, se faisait confirmer le prénom des enfants par la paroisse avant de les enregistrer sur l'Etat Civil. Par contre, les patronymes qu'il leur attribuait étaient fantaisistes. Aucun de ces patronymes n'a de consonance basque ou béarnaise (pour marquer d'étrangeté ces enfants issus de mauvaises familles, ou pour brouiller les pistes ?) : ainsi, on trouve aux côtés de notre Bertrand Cressonnier un Poissonnier, un Bergeron, un Chapelier...
La suite
Le 19 mai 1834, Bertrand a alors huit ans. L'administration de l'hospice civil accepte sa mise en contrat d'apprentissage chez Marie et Jean Mailhon.
Enfin, le 24 Avril 1856, à l'âge de vingt-neuf ans, Bertrand épouse Catherine Martine Cabanne, de la commune de Nabas. Il est alors domestique laboureur, et domicilié sur la commune de St-Gladié.
Une erreur administrative rendra pendant longtemps Bertrand difficile à localiser par ses lointains descendants : à l'occasion de la naissance d'un de ses enfants, son nom sera déformé, et deviendra définitivement Crisonnier.
Et les parents ?
Jean Aguttes, originaire du Cantal, était marchand ambulant de parasols. Lors d'un passage dans les Landes, il rencontre Catherine Marmajoux, née de père inconnu. Un premier enfant naît "de leur fréquentation intime", dit l'acte : Jean, né à Peyrehorade le 1er août 1813. L'année suivante, Jean Aguttes est de retour dans la région. Catherine est venue quant à elle s'établir avec sa mère Françoise à Bayonne. Jean et Catherine décident alors de régulariser leur union et se marient le 15 juin 1814. Quatre autres enfants naissent après le mariage : Marie Anne (14/04/1816 et décédée le 12/06/1820), Jeanne (24/09/1821), Mathieu (08/09/1822) et enfin Bertrand. Mais Bertrand est l'enfant de trop : la famille ne le gardera donc pas.
Le douze mai, la même sage femme, Celestine Barbé, dépose un enfant de sexe masculin, prénommé Bertrand à l’hopital de Bayonne. «par ordre du maire», elle vient le retirer 5 jours plus tard, le 17 mai. l’enfant est clairement décrit comme fils de Catherine Marmayoux et de Jean Aguttes.
Acte de naissance de Jean Baptiste Aguttes, fils de Jean Aguttes et de Catherine Marmayoux, né le 11 mai 1826.
Trois jours plus tard, le 19 mai 1826, un enfant est trouvé devant l’hospice.